maison blanche

La nouvelle donne

Vers une nouvelle guerre civile aux Etats-Unis ?

Les Etats-Unis sont-ils à l’aube d’une nouvelle guerre civile ? C’est le thème du livre du romancier et journaliste canadien Stephen Marche The Next Civil War : Dispatches From the American Future ? La question est grave et est le sujet de plusieurs livres publiés récemment. Si cette activité éditoriale ne constitue pas une preuve, elle pousse à s’interroger sur la situation actuelle.

La guerre de Sécession est l’événement le plus important de l’histoire des Etats-Unis. Elle a failli scinder le pays en deux. La cause – l’esclavage – était facilement identifiable et séparait le pays en deux fractions, les Etats du Nord et ceux du Sud. Certains historiens pensent qu’elle était en germe dès la rédaction de la Constitution en 1787 à Philadelphie. Depuis la création des Etats-Unis, la question de l’esclavage a été centrale, ne trouvant aucune solution satisfaisante au fil des années. Elle a donc causé un conflit armé qui a occasionné plus de 600 000 morts dans un pays qui comptait à l’époque 30 millions d’habitants. Alors les Etats-Unis sont-ils au bord d’une nouvelle guerre civile ? Si l’on appliquait ce ratio aujourd’hui, un conflit de même ampleur entraînerait la mort de plus de 6 millions d’habitants. Ce qui n’a évidemment pas de sens.

En quoi la situation d’aujourd’hui est-elle différente d’autres périodes de l’histoire des Etats-Unis, par exemple la période après la Reconstruction où le Sud a pu reprendre sa destinée en main ou les très violentes années 1960 et 1970 avec le conflit racial et la guerre du Vietnam qui a commencé avec l’assassinat de John Kennedy (1963) à celui de son frère Bob Kennedy, candidat démocrate, en 1968, en passant par Medgar Evers (1963), Malcom X (1965), Fred Hampton (1968), Martin Luther King (1968). Cette période a été émaillé d’agitations extrêmement violentes : Harlem (1964), Watts (1965), Newark (1967), Detroit (1967), la fusillade de l’université de Kent (1970)

Stephen Marche identifie plusieurs causes pouvant conduire à cette guerre civile d’un nouveau type : la polarisation politique et géographique extrême, la radicalisation de la droite et parti républicain, les évènements climatiques extrêmes, la question raciale (qui est toujours aussi présente), la création des bulles sociales avec les réseaux, l’effondrement de la confiance dans les institutions, le creusement des inégalités…

Dans un environnement aussi explosif, il suffirait d’un banal incident très localisé pour démarrer un embrasement social. Et il en arrive de nombreux chaque jour comme par exemple la fermeture d’un pont d’une petite commune par des inspecteurs fédéraux jugeant que l’infrastructure est dangereuse et dont l’auteur du livre imagine le déroulement. D’autres événements ne sont pas à exclure comme l’assassinat d’un haut responsable politique. La liste des tentatives d’assassinat de président est bien longue et quatre y ont succombé : Abraham Lincoln (1865, par John Wilkes Booth), James A. Garfield (1881, par Charles J. Guiteau), William McKinley (1901, par Leon Czolgosz), and John F. Kennedy (1963, par Lee Harvey Oswald). Et qui s’aventurer à affirmer que les émeutiers du 6 janvier 2021 n’auraient pas lynché Mike Pence à la potence préparée pour lui s’ils l’avaient attrapé ?

Ce climat de violence existait bien avant Donald Trump mais ce dernier a quasi systématiquement relayé ce sentiment chez ses supporters lors de ces meetings notamment le 6 janvier où il a clairement lancé, au vu et au su de tous, un appel à l’insurrection pour changer le résultat de l’élection. Et il continue sur son site à diffuser des messages destinés à inciter à l’affrontement. Poussant jusqu’au bout l’idée du Big Lie selon laquelle les élections de 2020 ont été volé, il nourrit ce ressentiment comme l’essence fait tourner un moteur. Les démocrates ne sont plus des opposants politiques qui ont des valeurs et une vision différente de la société, ce sont de ennemis. Et avec ses ennemis, on fait la guerre. Résultats, 60 % des républicains considèrent toujours que cette élection a été volé, que Joe Biden n’est pas légitime. Et près de 30 % pensent que la violence contre le gouvernement peut être légitime.

Même si une future guerre civile se déclarait, elle ne serait pas une répétition de la guerre de Sécession. Elle prendrait des formes différentes. Certains états comme la Californie ou le Texas pourraient demander de quitter l’Union (Calexit ou Texit) car ils ne supportent plus d’en faire partie. Exagéré ? Fiction ? Cinq comtés de l’Oregon – un état à forte majorité démocrate – ont lancé une initiative pour être rattachés à l’Idaho voisin largement républicain, version Trump (Their Own Private Idaho: Five Oregon Counties Back a Plan to Secede). Et ces fractures existent dans de très nombreux états, par exemple entre la ville de New York, on ne peut plus libérale, avec le reste de l’Etat, fortement conservateur.

Les Etats-Unis ont été fondés sur des idées et des valeurs. Ils ont mis en place un « gouvernement of laws not of men » selon l’expression de John Adams. Le défi posé par une nation définie par idées intervient lorsque les idées n’attirent plus et ne sont plus partagé par la population. “The great Enlightenment principles of modernity – liberalism, secularism, rationality, equality, free markets – do not provide the kind of tribal group identity that human beings crave,” explique Amy Chua, professeur de droit à l’université de Yale ” (The united hates of America – We’ll still be divided after Trump. But the fault lines will move). L’attachement des citoyens à la démocratie est nécessaire – sans être suffisant – à l’existence même de la démocratie.


Que s’est-il réellement passé le 6 janvier

Même sur un événement aussi grave que celui du 6 janvier, démocrates et républicains (presque tous) n’ont pas la même lecture. Dans un moment très court de sincérité, les leaders du Congrès (Mitch McConnell, Kevin McCarthy, Lindsey Graham pour ne citer qu’eux) l’ont clairement défini comme un assaut contre la démocratie pour lequel Donald Trump portait une lourde responsabilité. Ils ont complètement retourné leur veste en espérant que les Américains l’oublieraient mais ils accusent les démocrates d’exploiter cet événement à des fins uniquement politicienne. Suivant en cela l’avis de leur maître :

« The American People also see that January 6 has become the Democrats’ excuse and pretext for the most chilling assault on the civil liberties of American citizens in generations. It is being used to justify outrageous attacks on free speech, widespread censorship, de-platforming, calls for increased domestic surveillance, appalling abuse of political prisoners, labeling opponents of COVID lockdowns and mandates as national security threats, and even ordering the FBI to target parents who object to the radical indoctrination of their children in school ».

Donald Trump, 7 janvier 2022


 

 

 

10 janvier 2022 Posted by | Politique | Laisser un commentaire

Etats-Unis ou Etats-Désunis ?

« Mais l’Amérique conservera-t-elle la forme de son gouvernement ? Les Etats ne diviseront-ils pas ? (…) Les Etats du nord et du midi ne sont-ils pas opposés d’esprits et d’intérêts ? Les Etats de l’ouest, trop éloignés de l’Atlantique, ne voudront-ils pas avoir un régime à part ? D’un côté, si l’on augmente le pouvoir de la présidence, le despotisme n’arrive-t-il pas avec les gardes et les privilèges du dictateur ? »

Telles sont les questions, toujours d’actualité, que pose Chateaubriand dans son livre voyage en Amérique (Annexes : Perspectives sur les Etats-Unis ; Danger pour les États-Unis ; Folio Classique, p516) On ne peut que saluer la préscience dont fait part l’auteur des Mémoires d’Outre-tombe. Le livre s’appuie sur son voyage en Amérique en 1791 et son expérience multiple en tant qu’ambassadeur mais publié seulement en 1827.

Ces difficultés en germe depuis la création même du pays, y compris dans la Constitution qui prévoyait un statut particulier pour les Noirs et pas de statut du tout pour les amérindiens au motif qu’ils ne seraient pas imposés et vivraient séparément, dans des territoires qui leur seraient affectés et au fur et à mesure disputés, pour arriver à une portion congrue.

Le danger le plus évident était celui de la sécession entre les Etats du Sud souhaitant maintenir l’esclavage et ceux du Nord opposés à l’esclavage. Plutôt que de traiter cette épineuse question, le gouvernement américain l’a repoussé en adoptant des mesures dilatoires qui ne réglaient rien. En premier lieu le compromis du Missouri, un amendement déposé en février 1819 à une proposition de loi interdisant d’introduire de nouveaux esclaves dans l’état éponyme et selon lequel les esclaves de plus de 25 ans seraient émancipés. Commence alors la recherche d’un difficile équilibre entre le nombre d’états esclavagistes et anti-esclavagistes. C’est ainsi que le Maine anti-esclavagiste est séparé du Massachusetts (également anti-esclavagiste) pour équilibrer avec le Missouri. En outre, les nouveaux états qui seraient créés dans la Louisiane – rachetée à la France en 1803 qui couvre une zone géographique correspondant à une vingtaine d’états actuels- se diviseraient en deux camps, les anti-esclavagistes et les abolitionnistes, selon qu’ils se trouvent au nord ou au sud du 36°30’ (la frontière sud du Missouri). Cette frontière a succédé à la ligne Mason-Dixon qui démarquait depuis l’indépendance des États-Unis les états esclavagistes et abolitionnistes.

Le compromis apaisera les tensions mais sera abrogé en 1854 avec le Kansas-Nebraska Act et sera déclaré inconstitutionnel avec l’arrêt Dred Scott en 1857 et mènera infailliblement à la guerre de Sécession.

Chateaubriand pose aussi la question de l’américanité (le qualificatif d’« un-american » est souvent attribué pour discréditer son opposant, son adversaire voire ennemi politique) : « Quel rapport y a-t-il entre un Français de la Louisiane, un Espagnol des Florides, un Allemand de New-York, un Anglais de la Nouvelle-Angleterre, de la Virginie, de la Caroline, de la Géorgie, tous réputés Américains ? »

Là ce sont les différences liées à l’origine mais il y en a d’autres comme la religion : « Celui-là léger et duelliste ; celui-là catholique, paresseux et superbe, celui-là luthérien, laboureur et sans esclaves ; celui-là et planteur avec des nègres ; celui-là puritain et négociant ; combien faudra-t-il de siècles pour rendre ces éléments homogènes ».

D’autant que, en parallèle à cette homogénéisation, de nouvelles forces vont s’accroissant séparant les citoyens les uns des autres : entre les ruraux et les urbains, entre les 1 % et les 99 %, entre les états exposés au monde et ceux à l’intérieur et surtout entre les démocrates et les républicains. Avant la révolution conservatrice de Ronald Reagan, on avait coutume de dire que républicains et démocrates, c’était blanc bonnet et bonnet blanc et que les différences étaient aussi infimes que celles entre Alain Poher et Georges Pompidou (une expression remis au goût du jour par Jacques Duclos en 1969 au sujet des deux candidats qui s’affrontaient au second tour de l’élection présidentielle). Mais depuis, les différences se sont largement creusés. Avec des épisodes qui ont aggravé la situation, le mouvement du Tea Party, et ont tout fait « exploser » avec Donald Trump, les conspirationnistes, comploteurs et autres antivax.

Aujourd’hui, l’Amérique, sous l’influence de son 45e président, se divise en deux camps : ceux qui pensent que les élections de 2020 ont été volés (environ 60 % des républicains selon les différents sondages) et ceux qui considèrent que Joe Biden est le président légitime. Donald Trump en fait le litmus test pour séparer les « bons » et les « mauvais » Américains ou pire séparer les Américains et les Non-Américains.

 

Statement by Donald J. Trump, 45th President of the United States of America
21 décembre 2021
Why isn’t the Unselect Committee of highly partisan political hacks investigating the CAUSE of the January 6th protest, which was the rigged Presidential Election of 2020? Does anybody notice that they want to stay as far away from that topic as possible, the numbers don’t work for them, or even come close. The only thing they can do is not talk about it. Look at what is going on now in Pennsylvania, Arizona, Georgia, Wisconsin, and, to a lesser extent, Michigan where the numbers are horrendously corrupt in Detroit, but the weak Republican RINOs in the Michigan House and Senate don’t want to touch the subject. In many ways a RINO is worse than a Radical Left Democrat, because you don’t know where they are coming from and you have no idea how bad they really are for our Country. The good news is there are fewer and fewer RINOs left as we elect strong Patriots who love America. I will be having a news conference on January 6th at Mar-a-Lago to discuss all of these points, and more. Until then, remember, the insurrection took place on November 3rd, it was the completely unarmed protest of the rigged election that took place on January 6th.

 

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Différence de conduite entre les Espagnols et les Américains vis-à-vis des Indiens
(Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t.I, 1er vol)

Les Espagnols lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes farouches ; ils pillent le Nouveau Monde ainsi qu’une ville prise d’assaut, sans discernement et sans pitié ; Mais on ne peut tout détruire, la fureur a un terme : le reste des populations indiennes échappées aux massacres finit par se mêler à ses vainqueurs et par adopter leur religion et leurs mœurs.

La conduite des Américains des États-Unis envers les indigènes respire au contraire le plus pur amour des formes et de la légalité. Pourvu que les Indiens demeurent dans l’état sauvage, les Américains ne se mêlent nullement de leurs affaires et les traitent en peuples indépendants ; ils ne se permettent point d’occuper leurs terres sans les avoir dûment acquises au moyen d’un contrat ; et si par hasard une nation indienne ne peut plus vivre sur son territoire, ils la prennent fraternellement par la main et la conduisent eux-mêmes mourir hors du pays de ses pères.

Les Espagnols, à l’aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d’une honte ineffaçable, n’ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l’empêcher de partager leurs droits ; les Américains des États-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale 2 aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité.

« Ce texte, ou Tocqueville ne respecte pas la règle des sociologues modernes, qui est de s’abstenir de jugements de valeur et de se défendre de l’ironie, est caractéristique de l’humanitarisme d’un aristocrate »
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologiques, Alexis de Toqueville, L’expérience américaine.

23 décembre 2021 Posted by | Général | Laisser un commentaire

Une crise sanitaire peut en cacher une autre

Alors que l’épidémie de la Covid-19 a occasionné presque 800 000 morts aux Etats-Unis, la crise liée aux opioïdes a dépassé pour la première fois le seuil symbolique des 100 000 décès sur une année (sur une période allant d’avril 2020 à avril 2021) en augmentation de près de 30 % par rapport à l’année précédente. C’est ce qu’indique le National Center for Health Statistics dans une statistique un peu macabre. Une des différences avec la Covid-19 est ce que cette crise touche plutôt les jeunes.

La crise des opioïdes – substance psychotrope de synthèse ou naturelle dont les effets sont similaires à ceux de l’opium – qui fait des ravages dans de nombreuses familles remonte à une vingtaine d’années et constitue une véritable catastrophe nationale qui est sans doute passée en arrière-plan, derrière la Covid-19. En 2017, on évaluait à plus de 70 000 morts par overdose de ces substances. C’est vingt fois plus que la mortalité due à l’alcoolisme. A titre de comparaison, la catastrophe naturelle occasionnée par l’ouragan Katrina avait causé environ 2 000 morts.

La crise des opioïdes est un phénomène spécifique aux États-Unis. Avec 5 % de la population mondiale, les États-Unis en consommeraient 80 %. Certes la consommation de type de produits n’est pas nouvelle, mais elle a connu un net regain il y a une vingtaine d’années. Ce type de produits est utilisé depuis bien longtemps, notamment pendant les conflits militaires. Ils furent largement consommés pendant la guerre de Sécession et l’on évalue à 400 000 le nombre de soldats présentant une addiction à la morphine après la guerre. Un phénomène comparable s’est produit après la guerre du Vietnam à l’issue de laquelle entre 10 à 15 % des soldats revenus au pays étaient devenus dépendants.

Le grand tournant dans cette crise remonte aux années 90 avec l’arrivée d’un nouveau produit antalgique, l’OxyContin, créé et fabriqué par Purdue Pharma. En mettant ce nouveau médicament sur le marché, le laboratoire pharmaceutique a lancé alors une campagne promotionnelle auprès des médecins et du public en laissant croire que l’OxyContin était moins addictif que tous les autres produits et que son usage restait sous contrôle. Des affirmations avancées sans aucune preuve scientifique conduisant à des prescriptions massives par les médecins pour calmer la douleur, même dans des cas où d’autres traitements moins intrusifs auraient pu être tout aussi efficaces.

Les premiers accords faisant suite à des poursuites juridiques sont déjà intervenus. En juillet dernier, le laboratoire pharmaceutique Johnson & Johnson et les trois sociétés de distribution de médicaments Cardinal Health, AmerisourceBergen et McKesson ont conclu un accord avec les villes et les états pour liquider le différend qui les oppose depuis plus de deux ans de procédure sur la crise des opioïdes (Accords en vue sur la crise des opioïdes ?). Selon cet accord, les distributeurs verseront 21 milliards de dollars sur 18 ans et Johnson & Johnson 5 milliards sur 9 ans. Sur les 26 milliards de dollars, 2 seront utilisés pour payer les frais de procédure et des cabinets d’avocats. Certains états et localités ont fait appel à leurs avocats salariés mais d’autres ont contracté avec des cabinets privés. Parmi les autres affaires en cours, il y celle entre une quinzaine d’états et le laboratoire Purdue Pharma, le fabricant de l’Oxycontin avec lequel le scandale et le désastre est arrivé. Et le sujet est loin d’être soldé.

A l’occasion de la publication de cette statistique, l’administration a indiqué qu’elle élargirait l’accès à des médicaments comme la naloxone, qui peut inverser une surdose d’opioïdes, en encourageant les États à adopter des lois qui le rendront plus largement disponible et en promouvant son utilisation par les Américains. Maintenant, il faut savoir si cette question de santé publique va être happé par la politique ce qui réduirait ses chances de succès : les républicains mettant l’accent sur la liberté et la responsabilité de chacun et accusant les démocrates d’être trop laxistes. On a pu constater la toxicité des ces réflexes partisans à l’occasion de la crise de la Covid-19.

L’augmentation des décès – la grande majorité causée par les opioïdes synthétiques – a été alimentée par l’utilisation généralisée du fentanyl, un médicament à action rapide qui est 100 fois plus puissant que la morphine. De plus en plus de fentanyl est ajouté subrepticement à d’autres drogues fabriquées illégalement pour augmenter leur puissance. Les décès par overdose liés à l’utilisation de stimulants comme la méthamphétamine, la cocaïne et les opioïdes naturels et semi-synthétiques, tels que les analgésiques sur ordonnance, ont également augmenté au cours de la période de 12 mois.

Dans cette catastrophe sanitaire, on observe de fortes disparités régionales. La Californie, le Tennessee, la Louisiane, le Mississippi, la Virginie occidentale et le Kentucky sont les états où l’augmentation a été la plus forte dépassant 50 % sur l’année précédente.

24 novembre 2021 Posted by | Général, Santé | Laisser un commentaire

Dépecer les journaux avant de les tuer

Les charognards attendent au moins que leur proie soit morte pour les dépecer et les dévorer. Le fonds spéculatif Alden Capital choisit d’intervenir un peu avant pour extraire ce que la future proie pourrait encore produire avant qu’elle ne meure de sa « belle » mort. En gros vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuée. Créé en 2007, le hedge fund a réussi quelques belles prises avec un fabricant dans le secteur de l’aérospatial, puis une société de forage pétrolière basée à Dallas (Texas). Ces dernières années, Alden Capital s’est intéressé au secteur de la presse locale, déjà en quasi-décomposition. Il faut donc faire vite avant qu’elle ne soit totalement décomposée. Cette presse, qui a fait la force de la démocratie locale a eu à faire face à la concurrence de la télévision, puis de l’internet – Craiglist s’est substitué aux annonces classées, Google et Facebook ont absorbé le marché publicitaire, deux sources majeures de revenus – sans avoir le temps de se reconvertir aux technologies numériques et de développer des business models adaptés.

 

Dans un article très documenté (A secretive hedge fund is gutting newsrooms, Inside Alden Global Capital, By McKay Coppins), publié par le magazine The Atlantic (un des plus vieux magazines mensuels américain, créé en 1857)[1], McKay Coppins décrit en détail le mécanisme utilisé pour extraire quelques millions ou dizaines de millions de dollars avant de laisser mourir sa proie. Sur les 15 dernières années, plus d’un quart des quotidiens américains locaux ont disparu. Ceux qui arrivent à survivre ont vu leur format ou leur pagination se réduire considérablement, devenant ainsi vulnérables aux acquisitions. Aujourd’hui, la moitié des quotidiens sont détenus par des sociétés financières dont l’intérêt pour la presse est comparable à celui d’un singe pour La Légende des Siècles.

La recette bien rodée par Alden Capital (15 salariés, un site web qui se réduit à une page d’accueil sous la forme d’une simple photo, « pour vivre heureux, vivons cachés ») est simple : vider les salles de rédaction – faire des journaux sans journalistes, le rêve de certains investisseurs -, vendre les actifs immobiliers, augmenter le prix des abonnements (en espérant que les lecteurs ne s’en apercevraient pas tout de suite) et extraire le plus de cash et le plus vite possible. Des chercheurs de l’Université de Caroline du Nord ont montré que les rédactions des journaux d’Alden Capital avait réduit deux fois plus vite que la presse américaine (The expanding news desert).

From our very beginnings as a nation, newspapers have played a vital role in building community. Strong newspapers fostered a sense of geographic identity and in the process nurtured social cohesion and grassroots political activism. The stories and editorials they published helped set the agenda for debate of important issues, influence the policy and political decisions we made, and build trust in our institutions. The advertisements they carried drove local commerce and regional economic growth by putting potential customers together with local businesses. Ron Heifetz, professor at Harvard University’s John F. Kennedy School of Government, describes a newspaper as “an anchor” because it “reminds a community every day of its collective identity, the stake we have in one another and the lessons of our history. “

En mai 2021, Alden Capital a procédé à l’acquisition du groupe Tribune Publishing[2] qui regroupe quelques 200 titres dont le prestigieux Chicago Tribune, le Baltimore Sun, le Daily News. Fort de cette acquisition, Alden Capital est le second groupe de presse quotidienne des Etats-Unis.

Le cas du Chicago Tribune est exemplaire dans ce dépeçage systématique. Créé en 1847 (avant la guerre de Sécession), c’est l’un des plus anciens quotidiens américains. Il s’est qualifié lui-même comme The World’s Greatest Newspaper (le plus grand journal du monde). Le Chicago Tribune a accompagné des moments historiques, soutenir Abraham Lincoln et publié un scoop sur le traité de Versailles. Il a collectionné nombre de prix Pulitzer. En 1922, le Colonel Robert McCormick, décide d’ériger « the world’s most beautiful office building » pour son journal. C’est l’âge d’or du journal et de la presse quotidienne. Pour embellir son gratte-ciel, il demande aux correspondants de rapporter des fragments de sites historiques : une brique de la grande muraille de Chine, un emblème de la Basilique de Saint-Pierre pour les incruster dans la façade.

L’auteur de l’article raconte son déplacement dans les nouveaux locaux du Chicago Tribune qui a quitté ses locaux historiques pour des locaux beaucoup moins reluisants. Il raconte qu’après avoir pris un taxi à l’ouest de la rivière Des plaines, il est entré dans un bâtiment d’une zone industrielle, pris un ascenseur pour accéder à une petite salle de rédaction de la salle d’un restaurant Chipotle. Et les départs forcés ou consentis se sont multipliés laissant une rédaction exsangue incapable de couvrir une actualité toujours foisonnante de la ville de Chicago.

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[1]
The Atlantic, anciennement The Atlantic Monthly, est un magazine mensuel culturel américain fondé en novembre 1857 à Boston, dans le Massachusetts. The Atlantic commence comme un magazine littéraire et de commentaire culturel, et compte parmi ses fondateurs des grands noms comme Harriet Beecher Stowe, Ralph Waldo Emerson, Henry Wadsworth Longfellow, Oliver Wendell Holmes, John Greenleaf Whittier et James Russell Lowell (premier directeur de la rédaction). Au fil du temps le titre se construit une réputation à l’échelle nationale, tenue depuis plus de 150 ans. Il est connu pour avoir reconnu et publié de nouveaux auteurs et poètes, et encouragé des carrières importantes et des écrits sur des sujets de politique publique comme l’abolition de l’esclavage ou l’éducation.

[2] Tribune Publishing Company is an American newspaper print and online media publishing company. The company, which was acquired by Alden Global Capital in May 2021, has a portfolio that includes the Chicago Tribune, the New York Daily News, The Baltimore Sun, the Orlando Sentinel, South Florida’s Sun-Sentinel, The Virginian-Pilot, the Hartford Courant, additional titles in Pennsylvania and Virginia, syndication operations, and websites. It also publishes several local newspapers in its metropolitan regions, which are organized in subsidiary groups.

29 octobre 2021 Posted by | Société | Laisser un commentaire

Le coup de pied de l’éléphant à la démocratie

« Pour préserver la démocratie (américaine), il faut voter démocrate » Tel est le message – sans jeu de mots – de deux tribunes publiées simultanément dans le New York Times (We Are Republicans. There’s Only One Way to Save Our Party From Pro-Trump Extremists). et le Washington Post (I’m no Democrat – but I’m voting exclusively for Democrats to save our democracy). Une simultanéité certainement fortuite mais pas trop surprenante tant nombre de républicains semblent dégoutés de l’évolution de leur parti vers l’extrémisme et sous totale influence de Donald Trump.

Et « pour couler la république, voter républicain » pourrait-on ajouter.

Les deux tribunes ne sont pas rédigées par des inconnus qui viendraient d’inventer « l’eau chaude » mais par des républicains dont on ne peut douter de leur engagement sur les idées conservatrices.

Côté NYT, Miles Taylor a été directeur de cabinet au Department of Homeland Security. Il avait publié en 2018, alors qu’il était toujours en poste une tribune sous couvert d’anonymat Intitulée « I Am Part of the Resistance Inside the Trump Administration » et un sous-titre clairement prémonitoire : « I work for the president but like-minded colleagues and I have vowed to thwart parts of his agenda and his worst inclinations. » Un président des Etats-Unis qui organise ce que l’on peut appeler aujourd’hui « un coup d’état » n’est pas banal. Pour sa part, Christine Todd Whitman a été gouverneure républicaine du New Jersey de 1994 à 2001.

Côté Washington Post, Max Boot est un antitrumper de la première heure. En 2018, il a publié « The Corrosion of Conservatism: Why I Left the Right » qualifié  Andrew Sullivan dans le New York magazine comme un “devastating dissection of conservatism’s degeneracy in America”. Ses origines russes (il est né à Moscou) et a émigré aux Etats-Unis à l’âge de sept ans) ne sont pas étrangères à ses idées politiques.

« Rational Republicans are losing the party civil war. And the only near-term way to battle pro-Trump extremists is for all of us to team up on key races and overarching political goals with our longtime political opponents: the Democrats ». Il ne s’agit plus de « modérés contre extrémistes » mais de républicains gouvernés par la raison et non par une sorte de culte au nouveau veau d’or que constitue Donald Trump.

Ces deux tribunes sont graves et ne font pas trop dans la nuance dans la mesure où leurs auteurs considèrent que l’heure est grave, apocalyptique pourrait-on dire. Pour Miles Taylor et Christine Whitman, il s’agit de former une alliance avec les démocrates pour défendre les institutions. Une telle stratégie aurait fonctionné en 2016 puisque 7 % des républicains ayant voté pour Donald Trump en 2016 ont soutenu Joe Biden en 2020. Il s’agit donc de soutenir des candidats démocrates dans des élections difficiles. Sont-ils d’accord avec les démocrates ? Assurément non sur des sujets majeurs comme les dépenses en infrastructures, les impôts ou la sécurité nationale mais ils partagent avec eux l’idée centrale de la démocratie.

Faut-il créer un nouveau parti ? Les auteurs n’ont pas trop d’illusion sur cette possibilité car de nombreuses tentatives dans l’histoire des Etats-Unis se sont soldées par un échec patent. Le meilleur contre-exemple est sans doute la création du parti républicain dont le premier président élu issu de ses rangs est Abraham Lincoln. Mais la situation était particulièrement grave puisqu’elle a conduit à la guerre de Sécession. Réussir une telle entreprise aujourd’hui signifierait donc que l’heure est aussi grave qu’en 1860. Les Etats-Unis ne sont pas la France où la création d’un parti est assez facile et intervient régulièrement au gré des situations et des personnes. Par exemple, un ancien ministre qui vise des élections et crée un parti pour les préparer.

Max Boot est encore plus radical en affirmant : « I’m a single-issue voter. My issue is the fate of democracy in the United States. Simply put, I have no faith that we will remain a democracy if Republicans win power. Thus, although I’m not a Democrat, I will continue to vote exclusively for Democrats – as I have done in every election since 2016 – until the GOP ceases to pose an existential threat to our freedom ». On ne saura être plus clair.

Pour preuve de ces affirmations, le rapport (How the Former President and His Allies Pressured DOJ to Overturn the 2020 Election) que vient de publier la commission juridique du Sénat à propos des initiatives de Donald Trump pour faire pression sur le ministère de la Justice à l’aider à renverser le résultat des élections en sa faveur. Et quand le ministre de la Justice (nommé après la démission de Bill Barr) a indiqué qu’il ne coopérerait pas, Donald Trump a menacé de le remplacer par le numéro deux du ministère, Jeffrey Clark, plus docile à exécuter les basses œuvres. Lors de la réunion du 3 janvier dans le bureau ovale avec les principaux protagonistes, Donald Trump aurait déclaré sans ambages : « One thing we know is you, Rosen, aren’t going to do anything to overturn the election. » Devant la menace de démissions en masse, Donald Trump a reculé mais il a continué en empruntant d’autres voies comme celles de convaincre le vice-président Mike Pence à ne pas certifier le vote des grands électeurs (une procédure purement formelle) et demander à un des ses conseillers, John Eastman, de rédiger un mémo pour projeter ce qu’il convient d’appeler un coup d’état. Sans parler de l’appel à l’insurrection du 6 janvier. Bref un dossier qui s’alourdit sans cesse et qui montre chaque jour un peu plus que les Etats-Unis sont passés très près d’une crise institutionnelle majeure. Les républicains ont publié leur contre rapport (A factual summary of testimony from senior justice department officials relating to events from december 14, 2020 to january 3, 2021) dont l’objectif est seulement de blanchir leur nouveau leader maximo avec des arguments qui pourrait faire sourire s’ils n’étaient pas aussi graves. Comme son refus d’accepter le résultat des urnes qui n’aurait rien à voir avec la volonté de Donald Trump de garder le pouvoir ou encore qu’il n’a pas cherché à faire pression sur le ministère de la Justice pour que ses responsables soutiennent ses allégations de fraudes mais juste de les informer de fraudes.

Le remède à ce danger est simple : « To prevent a successful coup in 2024, it is imperative to elect Democrats at every level of government in 2021 and 2022 – to state legislatures and governorships, as well as the House and Senate. Democrats should break a Senate filibuster to pass voting rights legislation that would help ensure free elections ».

On a souvent débattu sur le sujet Donald Trump cause ou symptôme. Il est sans doute les deux mais sans le concours d’un parti républicain totalement dévoyé, ce mouvement du big lie en train de se transformer en big coup ne pourrait pas se perpétuer.

12 octobre 2021 Posted by | Politique | Laisser un commentaire

Perte continue de confiance dans le gouvernement

Pour qu’elle puisse fonctionner correctement, la démocratie représentative nécessite une confiance des citoyens dans les élus, quelle que soit la branche du gouvernement ou le niveau auxquels ils appartiennent, fédéral, de l’état ou local. Le cas de la branche judiciaire – la Cour Suprême – est particulier dans la mesure où les Juges sont nommés par le président et qu’ils peuvent mettre un terme à leur mandat quand ils le souhaitent.

Le manque de confiance des Américains dans leurs institutions n’en finit pas de sombrer à des niveaux incompatibles avec un bon fonctionnement de la démocratie. Et ce manque de confiance est caricatural tant il est partisan. Seulement 39 % des Américains ont confiance dans l’Exécutif – le président – dans sa capacité à gérer les problèmes intérieurs et extérieurs alors qu’ils étaient 68 % à faire confiance en 1997 pour les questions internationales et 51 % pour les questions intérieures. Avec un glissement régulier depuis cette date pour atteindre le niveau le plus bas depuis que l’institut Gallup interroge les Américains sur ces questions. George W. Bush avait bénéficié d’un regain de confiance (83 %) après avoir déclaré la guerre contre le terrorisme et lancé l’intervention militaire en Afghanistan. On voit ce qu’il en est advenu. On dit en France que l’élection du président est la rencontre d’un homme et d’un peuple. Cela est de moins en moins vrai au Etats-Unis. Il semble qu’un président démocrate ne peut rencontrer que les citoyens démocrates et éventuellement une frange d’indépendant et inversement pour un président républicain. A peine est-il est élu que la confiance et la défiance change de camp. C’est là un niveau de polarisation politique jamais atteint.

« The United States is heading into its greatest political and constitutional crisis since the Civil War, with a reasonable chance over the next three to four years of incidents of mass violence, a breakdown of federal authority, and the division of the country into warring red and blue enclaves » met en garde Robert Kagan, dans une récente tribune publié par le Washington Post (Our constitutional crisis is already here). Ce n’est pas rien car la guerre de Sécession a fait plus de 600 000 morts et failli couper le pays en deux. Il a fallu l’énergie d’Abraham Lincoln pour éviter au pays cette issue fatale.

Et si la confiance accordée au président est au plus bas (confiance en général), celle dans le Congrès est encore plus basse : 37 % pour ce dernier contre 44 % pour l’Exécutif.  la Cour Suprême qui bénéficie encore d’un image non partisane s’en sort mieux que les deux autres branches du gouvernement mais à un niveau de confiance (54 %) qui se situe lui aussi dans une tendance baissière de long terme.

Sur ce terrain de la confiance, les gouvernements locaux – Congrès de l’état, municipalité – s’en sortent encore mieux Washington est mauvais et le reste est digne d’un certain crédit selon la règle selon laquelle plus il près et plus il est digne de confiance. Dit d’une autre manière, en s’éloignant de son point d’ancrage naturel, l’homme politique devient suspect et peut être mis en question.

La très forte polarisation des Etats-Unis renforce donc la méfiance des Américains dans leurs élus politiques. Elle a été accentuée récemment par la confrontation à des problèmes importants, notamment la pandémie de COVID-19, la fin difficile de la guerre en Afghanistan, l’action et l’inaction de la Cour suprême dans des affaires controversées, la crise à la frontière sud des États-Unis et une autre fermeture potentielle du gouvernement (shutdown) sur le relèvement du plafond de la dette. « Trouver un terrain d’entente est de plus en plus difficile aux États-Unis, mais sans cela, la confiance dans le gouvernement restera probablement faible et déséquilibrée », conclut Megan Brenan, consultant à l’institut Gallup (Americans’ Trust in Government Remains Low).

5 octobre 2021 Posted by | Société | Laisser un commentaire

Guerre de Sécession : l’invisible troisième armée

La guerre de Sécession a été de loin la plus meurtrière de toute l’histoire des Etats-Unis : entre 600 000 et 700 000 morts chez les soldats de l’Union et des Confédérés pour une population qui comptait alors 30 millions d’habitants. Ce qui correspondrait aujourd’hui entre 6 et 7 millions de morts. Toutes les familles ont perdu un père, un fils, un frère…  Ce chiffre de 600 000 morts interpelle car il correspond à peu près aux morts causées par la Covid-19 en un peu plus de 18 mois.

A titre de comparaison dans ce décompte macabre, les autres principales guerres menées par les Etats-Unis ont fait moins de pertes humaines : 116 000 pour la Première guerre mondiale, 404 000 pour la seconde, 35 000 en Corée, 57 000 au Vietnam, un peu moins de 400 pour la guerre du Golfe et 2500 en Afghanistan (Source : America’s Wars, Department of Veterans Affairs).

La guerre de Sécession est souvent présentée comme la première guerre moderne car elle utilisait des équipements beaucoup plus meurtriers que les précédentes. Et clairement, la médecine n’avait pas connu les mêmes progrès. On estime que les deux tiers des soldats américains n’ont pas été tués sur les champs de bataille par les balles ou les boulets mais par les maladies infectieuses. Selon les historiens, cette véritable hécatombe a pu prolonger la guerre de deux années (12 avril 1861 – 9 mai1865).

Sur les 349 000 soldats de l’Union morts pendant cette guerre, 221 000 l’ont été à cause des virus, parasites et bactéries, autant d’organismes dont on ne connaissait pas encore l’existence mais qui étaient pourtant particulièrement meurtriers. Les pertes liées aux maladies infectieuses auraient été encore plus importantes dans les rangs des Confédérés en raison du blocus imposé par l’Union.

Rougeole, oreillons, coqueluche, varicelle, pneumonie, variole, dysenterie, typhoïde, typhus… constituaient ce que l’on appelé plus tard « l’invisible troisième armée ». Tous ces germes pouvaient se diffuser facilement étant donné les conditions sanitaires des troupes entassées dans des tentes ou des abris de fortune. Certaines maladies comme la variole auraient pu être évitées car il aurait été possible de vacciner les soldats mais cela n’a pas été fait. A titre de comparaison, on estime que pendant les guerres napoléoniennes, les soldats de l’armée britannique avaient 8 fois plus de chances de mourir d’une maladie infectieuse que sur le champ de bataille. Et certains historiens considèrent la campagne de Russie a été perdu par la Grande Armée non pas sur le champ de bataille mais à cause des maladies infectieuses.

Morts auxquelles il faut ajouter les cas de gangrène causés par des opérations réalisées en série sans aucune précaution élémentaire comme le lavage des mains ou des instruments. Les études de médecine étaient extrêmement rudimentaires, deux ans tout au plus. A cette époque, les Etats-Unis étaient très en retard sur ce point par rapport aux nations européennes. L’école de médecine de l’université de Harvard a disposé de ses premiers stéthoscopes ou de microscopes quelques années après la guerre. Les « chirurgiens » opéraient à la chaîne, juste à côté des champs de batailles, dans des maisons, des églises, des écoles ou encore des fermes transformées en hôpital de fortune, réutilisant les instruments encore ensanglantés des opérations précédentes. Les produits anesthésiques étaient utilisés depuis plusieurs années. Le chloroforme était le plus fréquemment utilisé – dans 75 % des cas – avec un taux de mortalité relativement faible de 0,4 %. Le produit était appliqué le plus souvent dans un tissu appliqué sur la bouche et le nez. Le chirurgien pouvait réaliser une amputation en une dizaine de minutes. Avec des conséquences assez probables d’infection car les antiseptiques n’étaient pas encore utilisés sauf si l’on considère le whisky comme appartenant à cette catégorie.

21 août 2021 Posted by | Histoire, Santé | Laisser un commentaire

Accords en vue sur la crise des opioïdes ?

Le laboratoire pharmaceutique Johnson & Johnson et les trois sociétés de distribution de médicaments Cardinal Health, AmerisourceBergen et McKesson ont conclu un accord avec les villes et les états pour liquider le différend qui les oppose depuis plus de deux ans de procédure sur la crise des opioïdes. Selon cet accord, les distributeurs verseront 21 milliards de dollars sur 18 ans et Johnson & Johnson 5 milliards sur 9 ans. Sur les 26 milliards de dollars, 2 seront utilisés pour payer les frais de procédure et des cabinets d’avocats. Certains états et localités ont fait appel à leurs avocats salariés mais d’autres ont contracté avec des cabinets privés. C’est l’un des multiples procès en cours concernant la crise des opiacées qui, selon le CDC (Le Centers for Disease Control and Prevention est la principale agence fédérale pour le contrôle et la prévention des maladies) aurait occasionné la mort de plus de 500 000 personnes depuis une vingtaine d’années.

Parmi les autres affaires en cours, il y celle entre une quinzaine d’états et le laboratoire Purdue Pharma, le fabricant de l’Oxycontin avec lequel le scandale et le désastre est arrivé. Si l’accord était signé, les états abandonneraient ainsi leur opposition à la restructuration engagée par la société de mise sous protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites en vue de bénéficier d’une meilleure protection juridique. Au passage, un audit réalisé par le cabinet AlixPartner, aurait révélé que la famille Sackler aurait soustrait plus de 10 milliards de dollars avant le lancement de l’opération.

En 2007, la famille a versé une des amendes les plus lourdes jamais imposées à l’encontre d’une firme pharmaceutique pour étiquetage et qualification mensongère de son produit OxyContin, avec trois dirigeants déclarés criminellement coupables. Au passage, le laboratoire est la propriété de la famille Sackler, l’une des plus riches des Etats-Unis. Dans le classement du magazine Forbes de 2015, elle classé au 16e rang avec une fortune évaluée à 14 milliards de dollars). Depuis que le produit Oxycontin a été lancé en 1995, les ventes auraient rapporté quelques 40 milliards de dollars au laboratoire et générerait un revenu de 3 milliards par an. Comble de l’ironie, la firme a lancé en 2018 le Buprénorphine, un médicament censé contrôler l’addiction aux opiacées.

A ward in the Carver General Hospital, Washington, D.C., during the Civil War. Image Credit: National Archives.

Les opioïdes[1] ne sont pas nouveaux. Ils ont été utilisés pendant les guerres, notamment pendant la guerre de Sécession et on évalue à 400 000 le nombre de soldats atteints d’une addiction après cette guerre. Aujourd’hui, il s’agit là d’un phénomène spécifique aux Etats-Unis. Avec 5 % de la population, les Américains consommeraient 80 % de ces substances. Le début de cette crise remonte au début des années 1990 avec la mise sur le marché d’un nouveau produit antalgique, l’OxyContin créé et fabriquée par le laboratoire Purdue Pharma. Pour lancer ce nouveau produit, le laboratoire a lancé une campagne promotionnelle auprès des médecins et du public laissant croire que l’OxyContin était moins addictif que tous les autres produits et que son usage restait sous contrôle. Des affirmations farfelues avancées sans aucune preuve scientifique conduisant à des prescriptions massives par les médecins pour calmer la douleur, même dans des cas où d’autres traitements auraient pu être tout aussi efficaces.

Pour que l’affaire entre Johnson & Johnson soit résolue, il faut qu’une majorité d’états et de municipalités signent l’accord dans les 30 jours. Ce qui n’est pas encore faits dans la mesure où certains pensent que le montant de 26 milliards est totalement insuffisant. Un des protagonistes a déjà indiqué qu’il ne signerait pas, le ministre de la Justice de l’état de Washington, Bob Ferguson qui déclarait : « The settlement is, to be blunt, not nearly good enough for Washington,” said Bob Ferguson, Washington’s attorney general. “It stretches woefully insufficient funds into small payments over nearly 20 years (…) We are looking forward to walking into a Washington state courtroom to hold these companies accountable for their conduct. Washington families devastated by the opioid epidemic deserve their day in court. »

Cette crise des opioïdes n’est pas sans rappeler celle qui opposait l’Etat américain aux cigarettiers. En 2005, le gouvernement fédéral des États-Unis, avait intenté une poursuite au civil afin de récupérer 280 milliards de dollars et accusait les géants américains du tabac – Philip Morris (Altria), R.J. Reynolds, Brown & Williamson, British American Tobacco (BAT), Lorillard (Loews), Liggett (Vector) – d’avoir réalisé des profits de façon frauduleuse, en trompant le public sur les dangers liés à l’usage du tabac.  


[1] Un opioïde est une substance psychotrope de synthèse (fentanyl) ou naturelle (opiacés qui agissent sur les récepteurs aux peptides opioïdes) dont les effets sont similaires à ceux de l’opium sans y être chimiquement apparentés. Les opioïdes exercent leurs effets par stimulation directe ou indirecte des récepteurs opiacés, qui sont surtout logés dans les systèmes nerveux central et parasympathique. Les récepteurs de ces organes servent de médiateurs à la fois aux effets bénéfiques et néfastes des opioïdes.

24 juillet 2021 Posted by | Général, Justice, Santé | Un commentaire